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15 mai 2012 2 15 /05 /mai /2012 18:08

Au fond du jardin

 

J’hésite, fébrile, j’avance à reculons dans le labyrinthe, tâtonnant au hasard des murs qui se dérobent sous mes doigts. Peut être devrai-je m’arrêter là ? Ça me donne le tournis, la nausée. L’envie d’arrêter et celle de continuer se chamaillent entre elles. Je m’intime l’ordre de ne pas céder à la panique, je dois rejoindre ma pensée, ne rien censurer. Recommencer.

 

J’enfonce mon regard dans les viscères, les porte à mon nez, décodeur des exhalaisons post mortem. Je me demande quel animal a pu lui infliger une blessure pareille. Sa gorge ainsi qu’une de ses pattes ont été arrachées.

 

Ça recommence. J’avance, je recule... Ma pensée se dérobe à elle même. Incapable d’avancer. Paralysée. Construire un labyrinthe et se perdre dedans. Ma tragédie. Elle se répète. De quel sens je viens ?

 

Sûrement un chien, ou deux, ou autre chose. Bizarre. On dirait qu’il a été tué par surprise. Pas de trace de lutte. Juste celle d’un corps que l’on retourne et que l’on traîne.

 

Votre fils verse des larmes de crocodiles.

 

Autre chose, comme une panthère par exemple.  La mixture verte qui sort de l’estomac indique clairement que la bestiole était en train de manger. Un coup d’œil autour du cadavre. L’herbe est broutée. Sûr qu’il s’est fait surprendre. Stupeur. Et si le prédateur était encore dans le coin.

 

Plus un bruit. Je reste perplexe devant l’apparition de ce souvenir. Je n’ai pourtant jamais été malheureux. Sauf à l’école peut être, c’est vrai.

 

Je n’ose plus bouger. Je sens qu’elle est là. L’instinct. Mon œil glisse comme un serpent dans les broussailles.

 

J’étais lent et maladroit. Farceur destin, farceur.

 

Rien. Elle n’est plus là. Mon cœur bat à s’en rompre. Le souffle devient court. Les pupilles dévastées par la peur, j’ai envie de hurler. Que dois-je faire ?

 

Aujourd’hui je n’ai plus qu’un seul souhait. Peut être, leur montrer qu’ils avaient tort. L’écriture comme cheval de troie. Mercenaire du mot.

 

Ne pas rester là plus longtemps. Foutre le camp et prendre une décision quant au sort du cadavre. Son corps se décompose déjà. Les mouches sont de bonnes ouvrières. Je l’enterre ? Non, je n’en ai pas le droit.

 

A douze ans, je voulais crever. Pour la première fois, l’idée du néant m’a reposé.

 

Il n’y a pas de panthère. Il n’y a pas de panthère. Il n’y a pas de panthère. Pas en auvergne ! J’appelle Nico. Lui saura que faire.

 

A treize. J’ai tout oublié, tout recommencé. Tout était à refaire.

 

« J’ai une mauvaise nouvelle » m’a-t-il dit.  «  Appelle la police. Eux sauront que faire. » Si c’est une blague, elle n’est pas drôle…

 

J’ai pensé. Puis, j’ai fait semblant de ne plus penser.

 

Quand ils sont arrivés, l’adjudant m’a jeté un regard sardonique, et m’a demandé où était la bête. Au fond du jardin vers mes pieds de beuh, connard, j’ai pensé.

 

A l’abri dans les paradis artificiels, j’ai soigneusement anesthésié ma faculté de ressentir. Erreur, je l’ai renforcée, amplifiée, décuplée.

 

S’ils décident de fouiller les lieux je suis dans la merde, j’ai pensé.

 

 

A dix sept. Ils me regardent comme si j’étais fou et disent que je suis bizarre.

 

C’est vrai que c’est bizarre pensa le plus jeune. Il pensait lui ? Hum, son kodak captait sûrement mieux la lumière que ses propres yeux, j’ai ruminé.

 

Vous dites ?

 

Et qu’est ce qu’il y a au fond ?, demanda l’agent.

 

J’aimerai savoir. Au fond de moi les choses se sont entassées. Les tiroirs catégoriels étaient sûrement trop étroits. Décharge de la pensée.

 

Rien monsieur l’agent, des broussailles.

 

Ordure mémorielle. Cerveau : grand foutoir des déchets sensoriels.

 

Qu’est-ce que ça pue ! a-t-il lancé. Pas autant que vous, j’ai… pensé.

 

 

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