Au bout de la nuit
Il recracha la fumée en direction de l’écran, par le nez, tel un dragon. Sa cigarette roulée l’attendait dans le cendar pendant qu’il cherchait l’inspiration qui lui dicterait que faire, que dire. Il écrivit deux phrases, puis vint le blanc qui ne l’est pas. La cigarette attendait depuis trop longtemps, au moins deux minutes. Alors, sans quitter le clavier des yeux, sa main droite s’absenta, le temps de plonger vers le jakousi de cendres grises.
Eteinte. Froide et mouillée. Il ralluma le vestige de clope. Sa prose se fit silencieuse. Un voile crapoté de fumée blanchâtre. Une inspiration profonde. Le goût du goudron. Soupir. Et finalement, la brûlure du bout des doigts, le signe qui dit que la roulée devait s’en retourner dans son jakousi, où elle s’écrasa gaiement tête la première.
Tandis qu’elle la fermait dans un dernier crépitement inaudible, les tapotements repartirent sur le clavier. Ils chantèrent le blanc qui ne l’était pas. Ils parlèrent pour ne rien dire. Ils parlèrent pour dire qu’il ne parlait que pour ne rien dire.
Il était 23 heures 23 minutes. C’était un signe. Quelque chose de grand était sur le point de survenir quelque part pour quelqu’un où il n’était pas encore 23 heures, ou où il n’était déjà plus 23 heures. Le temps n’était déjà plus le même qu’à l’instant où il avait cessait d’avancer à 23 heures 23.
A 23 heures 27, il semblait que seulement quelques tapotements étaient passés. Et d’ailleurs seulement quelques tapotements étaient passés, mais en tapotements le temps parut moins dense qu’en seconde. En tapotements, le temps joua les filles de l’air. Le temps fila vers l’écran. Il retrouva sa condition de fumée, celle qui avait fait écran sur le blanc qui ne l’était pas.
A 23 heures 30, le temps venait de se retrouver tel qu’il avait été un instant qu’il n’était déjà plus. Las, le désir d’abandonner le temps se fit tapotis. Tip tap tip tap. Tip tip tip. Le chant voulut s’écrire puis se lut et cessa de se dire, honteux qu’il était devant cette volonté trahie par des signes sans musique. Le chant devint discours d’un chant qui ne sait dire le chant qu’en le trahissant. Plein de lui-même, le discours se fit une joie de se poursuivre bien qu’il ignora tout d’où il allait.
Alphonse se joua de cet air là. Un sourire moqueur du tapoteur déchira la quiétude feinte de son visage. L’instant suivant, le sourcil du tapoteur se dressa : quelqu’un comprendrait-il seulement ce qu’il venait de faire, ce qu’il fit et pourquoi il le fit.
Dieu seul savait.
Quoi ! Qui était Dieu ? Qu’est-ce que signifiaient ces 4 lettres ? Que venaient-elles faire là ? Peut-être était-cela que les 23 heures 23 venaient à l’instant d’annoncer : l’arrivée de Dieu entre deux blancs !
Le tapoteur eut soif de vin sans qu’il sache exactement pourquoi. L’envie de communier sans doute. De faire corps avec l’esprit. Le grand, le pure, le saint Esprit. Mais il venait de le faire pourtant, et sans alcool. Mais pouvait-on communier sans alcool ? Assurément non. Mais alors, s’il ne venait pas de communier, que venait-il de faire dans ce cas ?
Une expérience ? Non, un semblant d’expérience. L’expérience de donner à entendre une expérience : l’expérience de donner à entendre une expérience qui ne se donne pas à entendre. Mieux : dire ce qui ne se disait pas, disait-il.
Mais que venait-il de dire alors ? Le tapoteur se gratta la tête. Tapoter ne servait vraiment à rien.